mardi 23 juillet 2019

SAUVER LE MONDE/ Stephane Camille

Sauve qui peut
Pour sauver le monde, j’ai acheté un gros pick-up et des fusils, et un projecteur, et j’ai dézingué toutes les roussettes, j’ai atomisé les notous, dont j’ai rempli mes congélateurs, puis que j’ai revendus, pour m’acheter une super pompe afin de vider le creek en bas de chez moi pour arroser mes plants d’agrumes subventionnés que j’ai aspergés d’engrais, abondamment, et traités aux pesticides, généreusement, pour rattraper le prix qu’on m’en offre lors des ventes qui m’ont permis d’acheter un nouveau bateau, et quinze sennes de cinquante mètres avec lesquelles je bloque la mangrove lors des grandes marées, ce qui m’a beaucoup rapporté et permis d’acquérir six appartements à Nouméa que je loue à des familles de la classe moyenne dont les loyers ont décidé les banques à me prêter pour ouvrir deux magasins où je fais venir des produits de luxe de très loin et dont les revenus m’ont aidé à prendre des parts dans des affaires à l’étranger, et maintenant je dois souvent prendre l’avion, au moins deux fois par semaine, pour Brisbane, Sydney, Suva ou Singapour, ou encore la Nouvelle-Zélande où j’ai acquis trois fermes laitières, ce qui m’a donné des idées, comme d’ordonner chez moi, à mon gérant d’exploitation, de raser mes forêts, d’y replanter, là, du pâturage amélioré, pour faire de la viande, là, des squashs et des patates, parce que c’est subventionné, même si j’ai dû faire faire trois nouveaux pompages et assécher un autre creek, parce que ma terre est merdique et il ne pleut plus, ou presque, et tant qu’à faire j’ai investi, en Asie, dans l’huile de palme, dans le durian, et en Amérique dans l’avocat, avec l’éducation qui part en vrille c’est pas la main-d’œuvre débile qui manque, sans oublier l’activité minière, c’est quand même traditionnel chez nous, faudrait pas l’oublier, j’ai des potes qui m’ont rencardé sur des gisements, il reste du chrome et du minerai basse teneur, le chimique ça te tire le jus de cette bouillasse, je pourrais peut-être même me faire subventionner, au pire prêter, si je pleure assez fort, un bon chantage à l’emploi mon orgueil s’en remettra, et tant qu’à faire j’ai négocié de vieux minéraliers pour ne pas me faire entuber sur le transport et mettre un pied dans le maritime, entrer dans le business des croisières, pénétrer le transport inter-îles en Océanie, avec des vieux rafiots rachetés en Asie, les insulaires n’y voient que dalle, et dans les cales je fourre le kava que mes hectares à Santo produisent en monoculture pour le marché américain, ça les calme, ça leur permet de supporter Trump, ce foutu clown que j’adore, il a tout compris ce mec, après moi le déluge, puissent des guerres éclater, puissent des économies s’écrouler, des centrales péter, ah, mais faudrait pas que je m’endorme sur mes lauriers, je pense fort à la grande distribution, à ces millions d’hectares qui restent à coaltarer, à ces millions d’hectares entre les villes qui restent à fouir, à fouiller et retourner, et avec le boom des batteries, il y a du blé à se faire, ici en Calédonie, mais aussi en Australie et je pense que je vais devoir partir plus souvent en Afrique où ils n’ont pas nos putains de lois, et plein de terres rares, des tas de main-d’œuvre y a qu’à se baisser pour ramasser, faudra graisser quelques pattes, payer quelques pistes de drift, parrainer des ronds-points, mais le jeu en vaut la chandelle, la chandelle qui brûle, qui fume, qui fond à vue d’œil comme ces banquises dont j’ai rien à foutre, comme ces bâtards d’ours, ces cons de phoques, ces saloperies de baleines puantes et inutiles, comme cette bande de petits enculés qu’ont rien compris, qu’ont pas capté que de toutes façons c’était fini, terminé, quand j’aurais tout flambé l’humanité pourra toujours pleurer, j’aurai clamsé moi aussi mais je me serai bien gavé, et ce sera trop tard, oui, si j’ai bien fait mon travail, l’humanité, cette virgule, cette fiente fière qui se prend pour le centre de l’univers, l’humanité va crever et le monde, lui, sera définitivement sauvé.


Stéphane Camille




CAMILLE / L’Omoindou
Stéphane, sa parole a la force d’un brise-glace des mers du Sud. Toujours dans un brouillard, son phare nous éclaire.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire